Kilian Jornet, la frontière invisible

Quand on parle de Kilian Jornet, cela évoque spontanément des performances exceptionnelles en trail, qui paraissent inaccessibles au commun des mortels. Cela évoque également une pratique toujours plus rapide, plus légère de la montagne que ce soit en ski ou à pied. Mais n’est-ce pas réducteur ?  J’ai toujours voulu mieux connaître le personnage. A mes yeux, il y a un paradoxe entre le fait d’être ultra-médiatisé et le fait d’être amoureux de la montagne, symbole de solitude et de liberté. La lecture du livre La frontière invisible m’a apporté un éclairage et m’a fait découvrir des facettes moins connues de ce personnage décidément hors du commun.

Un expert de la montagne revendiquant une pratique de rupture

Avant d’être un sportif de haut niveau, il ne faut surtout pas oublier que Kilian Jornet est un expert de la montagne. Il est tout à fait conscient des risques qu’il prend. Mais il n’en prend pas d’inutiles. Dans son récit, il prend soin de détailler ses processus de décision et rappelle qu’à trop jouer à la loterie en montagne, on finit par toucher le gros lot.

Par ailleurs, il affiche sa volonté de pratiquer la haute montagne le plus léger possible. Je connaissais le trail running et le skyrunning. Désormais, je connais ce qu’il nomme l’alpinrunning qui est un mélange de course et d’alpinisme en montagne. L’idée est d’atteindre des hauts sommets en  courant le plus possible et en escaladant les parois avec l’équipement minimum.

Sa traversée du massif du Mont Blanc à ski démontre toute son habileté technique et sa connaissance du terrain. Et que dire de son expédition dans l’Himalaya qui démontre toute son aptitude à évoluer en terrain hostile.

Enfin, être expert de la montagne c’est aussi savoir protéger les personnes qui nous accompagnent. Kilian Jornet en a conscience notamment grâce à Stéphane Brosse : « serai-je capable de faire demi-tour, non pas pour protéger ma peau mais celle des autres ».

Un besoin de fuir la célébrité pour retrouver le vrai Kilian Jornet

Il va connaître la tragédie : la mort de son ami Stéphane Brosse lors de sa traversée du Mont Blanc à ski. Ce deuil va être déclencheur de nombreuses réflexions au plus profond de lui-même. Il va d’abord avoir besoin de se réfugier dans « sa » montagne (au passage, cela me rappelle un de mes articles sur ce sujet où le trail et la montagne m’ont également servi de refuge).

Il livre ses états d’âmes, explique son rapport à la compétition et la médiatisation dont il se sent prisonnier. Comme vous le savez sûrement, Kilian Jornet c’est notamment trois victoires à l’UTMB dont la première l’année de ses 21 ans. Mais aussi de nombreux autres exploits et records d’ascensions (même si certains ont été battu depuis).

La compétition lui permet d’être bien encadré, il a peu de décision à prendre. Il reconnaît qu’il a voulu créer un héros pour rechercher l’admiration de son père. Mais il n’est pas heureux de cette situation et prend conscience qu’il doit s’éloigner de ce monde-là.

Son voyage au Népal va être en quelque sorte une fuite pour retrouver du sens à son existence et se libérer de ce sentiment d’être prisonnier. « j’ai perdu trop de temps à penser et à démontrer celui que je suis et il m’en a manqué pour être celui que je suis ».

montagne spiruel

Une relation spirituelle avec la montagne, à la vie à la mort

Kilian Jornet entretient une véritable relation spirituelle avec la montagne. Son voyage au Népal va permettre de la développer et ainsi lui permettre de se retrouver.

Certains passages sont ainsi dédiés aux heures qu’il passe à contempler les montagnes et toute leur beauté : « je pourrais passer des heures à les regarder jusqu’au moment où je vois clair, où je trouve ma ligne, mon sommet ou simplement la raison de leur beauté inaccessible ». Il chasse le superflu et tourne un peu en rond plusieurs jours afin d’habituer le corps à l’altitude. Il apprend à s’ennuyer puis « l’ennui se transforme subitement en état de paix intérieur ».

Ce voyage initiatique lui permet de développer ses convictions et son envie de se réaliser grâce à la montagne. Pour lui, pas question d’attendre pour vivre ses rêves : « si nous ne parlons que style, rêves et projets, mais que nous ne sortons pas pour les chercher, nous ne pourrons jamais savoir si cela est possible ».

Il n’hésite pas à revendiquer sa prise de risque liée à son amour de la montagne. Il est conscient d’évoluer en permanence sur le fil de la vie mais c’est ce qui lui donne du sens : « vivre sans prise de risque n’est pas vivre, pas pour moi en tout cas ». D’ailleurs, il rappelle au début du livre son « fantasme » de mourir en montagne quand il était jeune.

Au final, une phrase résume parfaitement son rapport à la vie et à la montagne :

« C’est la vie, ce sentiment, cette irrationalité incontrôlable, celle qui me dit de monter là-haut pour pouvoir être heureux, de mettre de côté la sécurité pour être celui que je suis, pour pouvoir dire un jour à mes enfants que j’ai vécu, parce que je rêve de folies et que je vais les poursuivre »

Le livre La frontière invisible apporte donc un nouveau regard sur Kilian Jornet, bien loin des clichés médiatiques.

2 commentaires à propos de “Kilian Jornet, la frontière invisible”

  1. Je l’ai lu aussi (et j’ai lu aussi courir ou mourir). J’ai apprécié ces deux lectures qui m’ont permis de découvrir un peu plus ce personnage que j’admire tant pour ses prouesses physiques que pour son côté humain.

    • Bonjour Thibaud. J’ai lu les deux également. Sacré personnage effectivement. Je trouve qu’il fait preuve d’une belle maturité et je me retrouve (un peu) dans certaines de ses réflexions. La montagne y a que ça de vrai 😉

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